Comme chaque année, le stand arménien sera présent au Salon du livre de Genève (du 26 au 30 avril 2017). Présence soutenue depuis plus de vingt ans par la fondation Topalian et animée par sa directrice Annie Mesropian qui soutient, avec une ouverture d'esprit remarquable, les thématiques pas toujours évidentes que je lui propose depuis maintenant une dizaine d'années.
Cette année sera la première année où, en tant que président de l'ONG Hyestart, je proposerai un ensemble d'interventions qui auront pour thème la situation des femmes dans le Caucase du Sud, mais aussi en Turquie et en Iran. Tout d'abord parce que la situation dans cette zone l'exige ensuite par conviction personnelle, partagée par l'autre membre fondateur de Hyestart, Alexis Krikorian.
La nécessité de la réduction du pouvoir personnel ou collectif qu'exercent les hommes sur les femmes ne relève pas du simple choix progressiste que je pourrais faire en tant qu'homme, mais est plutôt dû à la certitude que le patriarcat, comme tout système de domination, divise la société en deux classes antagonistes où s'interpénètrent racisme et domination économique, entre autres. De plus, par expérience personnelle, l'oppression et sa conceptualisation ne me sont pas étrangères. L'octroi de davantage de pouvoir aux femmes pour agir sur les conditions sociales, politiques ou économiques, l'"empowerment" anglo-saxon, ou le recul du droit des femmes en Occident ou non, relèvent de l'objectif politique et non d'une simple vue de l'esprit. Il faut souligner que sans Bertha Lutz et Minerva Bernardino, deux Sud-Américaines, la mention de l'égalité hommes - femmes dans le préambule de la Charte de l'ONU, l'ajout de la mention "sexe" dans la liste des discriminations à bannir et la création d'une commission spéciale sur les femmes n'auraient jamais vus le jour. L'origine de l'universalité de certaines idées n'est donc pas exclusivement européenne.
S'intéresser à la position des femmes dans nos sociétés, c'est affronter le problème des groupes dominants et la répression du groupe dominé et par la même des groupes dominés. Si l'"empowerment" des femmes reste l'objectif à soutenir, le travail de réflexion et la mise en place d'une réduction du pouvoir masculin reste essentiel. Faire comprendre que la réduction de pouvoir, aussi bien dans la sphère privée que collective, n'est pas une perte, mais un gain, s'avère essentiel.
Il ne s'agit pas de stigmatiser un comportement masculin dans une zone géographique donnée et circonscrit au Caucase du sud, car malheureusement, un peu partout, la position masculine apparaît de plus en plus comme une injustice qui s'accompagne de violences, de "gendercide" et qui laisse la place à une identité nationale genrée de plus en plus agressive.
Relier le genre à la production des identités nationales n'est pas nouveau, les nationalismes modernes se sont appuyés sur les stéréotypes de genre pour défendre ou valoriser une unité fantasmée. Dans bien des pays en conflit ou plongés dans des crises profondes, l'image du traître ou de l'antipatriote est celui de "l'efféminé", c'est-à-dire se rapprochant du genre féminin donc passif, dominé et traître potentiel.
Le respect du droit des femmes participe d'une rhétorique de la démocratie, c'est un garant de la modernité démocratique.
Grâce aux tables rondes et à l'expertise de nos invités, nous pourrons questionner lors de ce salon du livre la violence faîte aux femmes, le "gendercide" commis à l'encontre des filles dans les trois pays du Caucase du Sud et nous tenterons d'analyser la multiplicité des situations afin de comprendre la configuration des discours et des usages dans la disparité hommes-femmes dans la région.
Constater que les normes ne cessent de se transformer au cours de l'histoire semble pourtant évident, mais en Arménie comme ailleurs le terme tradition revient souvent lorsqu'on évoque les rôles attribués aux hommes et aux femmes ou les modèles comportementaux.
Mais les problèmes rencontrés aujourd'hui par les femmes dans la société arménienne relèvent-ils vraiment de la tradition ? Si la tradition est un objet culturel qui répète un modèle d'origine élaboré à une époque plus ou moins éloignée, alors le rôle assigné aux femmes dans la société contemporaine arménienne n'a rien de traditionnel. C'est ce que nous verrons en parcourant les vies, les actions, les œuvres et les engagements de femmes qui, des diaconesses du moyen-âge, aux journalistes, enseignantes et philanthropes du 19éme et 20ème siècle, ont remis en question la famille traditionnelle, l'acquisition du savoir et la dominance culturelle, entre autres, et ont su relier le progrès de la condition féminine avec l'évolution de la culture sociale et la civilisation de la nation.
Parler du droit et de la position des femmes dans nos sociétés, c'est parler d'égalité et d'égalité des sexes dans un paysage démocratique, mais c'est pour le moment surtout parler de citoyenneté tronquée, voire reniée. C'est aussi démonter les mécanismes d'oppression et de domination, c'est donc un choix de civilisation qui nous intéresse tous au premier chef, car c'est la possibilité de maintenir l'agir en commun dans un monde marqué par l'instrumentalisation des rapports sociaux et humains.
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