Alexis Rochette Krikorian

L’annonce hier de la finalisation des négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne marque pas nécessairement la fin des tensions dans le Caucase du Sud. Au contraire, les conditions qui ont conduit à cette annonce (et celles qui restent en suspens) préparent le terrain pour une nouvelle phase de pressions et d’agressions de la part de l’Azerbaïdjan. Derrière l’annonce d’un traité de paix se dessine une réalité bien plus sombre : un accord de capitulation, qui affaiblit encore davantage la position de l’Arménie face aux multiples revendications de son voisin.
Une mise en scène humiliante pour l’Arménie
L’annonce de la fin des négociations illustre à elle seule l’asymétrie des rapports de force. Selon le ministère arménien des Affaires étrangères, Erevan avait proposé que les deux pays fassent une déclaration conjointe. Pourtant, Bakou a préféré imposer une déclaration unilatérale, démontrant qu’il était dans ce processus de « paix » à la fois le maitre du tempo et du narratif diplomatique. Une humiliation de plus pour l’Arménie de Nikol Pachinian, dont chaque concession renforce la domination et le sentiment de toute puissance de l’Azerbaïdjan.
Des concessions qui affaiblissent Erevan sur le terrain
Bien que le texte du traité n’ait pas encore été rendu public, les dernières concessions de l’Arménie (annoncées par Bakou) semblent particulièrement lourdes de conséquences si elles devaient être confirmées :
• Retrait des observateurs civils européens de la frontière arméno-azerbaïdjanaise, qui y avaient été déployés début 2023 après les incursions de l’Azerbaïdjan en territoire arménien en 2021 et 2022 (l’Azerbaïdjan occupe toujours au moins 200 km2 de territoire arménien, un fait que le texte du traité semble ignorer, tout comme le droit au retour des Arméiens du Haut-Karabagh et la libération des 23 Arméniens abusivement détenus par Bakou).
• Renonciation mutuelle aux plaintes devant les instances internationales, ce qui mettrait fin aux procédures concernant les crimes commis par l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh et les incursions sur le territoire arménien, renforcant ainsi (de manière définitive?) l'impunité dont jouit l'homme fort de Bakou au plan international.
Ces deux points sont stratégiques pour Bakou. En cas d’attaque future, il n’y aurait plus d’observateurs européens sur place pour prévenir et documenter une éventuelle invasion à plus grande échelle, et l’Arménie aurait elle-même renoncé aux recours juridiques internationaux. Ces choix fragiliseraient encore davantage la position d’Erevan, qui se priverait ainsi de moyens de pression à l’avenir. Rappelons que l’Azerbaïdjan, dont le racisme d’État anti-arménien a été dénoncé par le Conseil de l’Europe et la Cour internationale de Justice (décision du 7.12.2021), a déjà expulsé début mars le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et le Comité international de la Croix-rouge (CICR). Fin février, c’étaient les opérations de BBC news qui étaient suspendues par les autorités azerbaidjanaises. L’ONG Transparency International a pour sa part décidé de quitter le pays à la suite de ces expulsions.
Une paix illusoire : le corridor du « Zanguezour » et la Constitution arménienne
Loin de garantir une paix juste et durable, l’annonce de cet accord ne règle pas la question centrale des revendications de l’Azerbaïdjan concernant le corridor du « Zanguezour ». Cet axe reliant l’Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan, puis à la Turquie, passe en effet par le sud de l’Arménie. Bakou continue d’exiger un corridor extraterritorial, remettant ainsi en cause la souveraineté de l’Arménie sur une partie de son territoire. Officiellement, Erevan continue de rejeter cette exigence-là.
Ce qui n’est pas le cas de celle portant sur la constitution arménienne. L’Azerbaïdjan insiste en effet sur une révision constitutionnelle en Arménie, arguant du fait que le préambule actuel (inspiré de la Déclaration d’indépendance de 1990) contient des revendications territoriales sur le Haut-Karabakh. Pachinian a déjà amorcé un processus de révision constitutionnelle visant à doter l’Arménie d’une nouvelle constitution en 2026. D’ici là, Bakou maintient et maintiendra cette exigence comme une arme politique supplémentaire contre l’Arménie. Et d’autres exigences pourraient suivre, renforçant encore la pression sur Erevan.
Un soutien international insuffisant face aux menaces ?
L’annonce de la fin des négociations, conclues sous pression, ne marque pas nécessairement la fin du cycle de violence. Elle semble plutôt s'inscrire dans une dynamique d’isolement stratégique croissant pour l’Arménie. Si l’Union européenne, qui a récemment encore prolongé son mandat d’observation, acceptait demain le retrait de ses observateurs sans garantie sur la protection des frontières arméniennes, elle encouragerait une « paix » illusoire et à court terme, au prix de la souveraineté et de la sécurité d’un État. A l’opposé de son discours sur l’Ukraine et des garanties sécuritaires nécessaires que cette dernière doit avoir, le président Macron s’est réjoui de la conclusion des négociations de paix. Pourtant, et jusqu’à preuve du contraire, cette issue ne laisse rien présager de bon en matière de sécurité pour l’Arménie, d’autant plus que les garanties supposées de la Russie sont déjà remises en question par l’occupation partielle du territoire arménien par l’Azerbaïdjan. Pour leur part, les grandes ONG de défense des droits humains, pourtant promptes à dénoncer les crimes de guerre ailleurs, restent pour la plupart silencieuses face au sort des 23 prisonniers et otages arméniens toujours détenus et visiblement torturés en Azerbaïdjan.
L’annonce hier de la finalisation des négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan semble marquer une nouvelle étape dans le processus d’affaiblissement de l’Arménie. En renonçant à ses recours juridiques et en acceptant le retrait des observateurs européens, Erevan ne fait que faciliter les prochains mouvements de Bakou. En signant un tel document en l'état, l’Arménie ne gagnerait pas la paix, mais acterait sa propre vulnérabilité. Il est à craindre qu’elle ne ferait que préparer le terrain pour la prochaine guerre.
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