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Eurasisme, panturquisme, touranisme : Comment redire l’empire.

Alain Navarra-Navassartian


Eurasisme, panturquisme et touranisme, des notions, des concepts et des idéologies que l’on croyait peu diffusées dans le champ politique légitime. Pourtant, au fil des interviews et des rencontres de Erdogan avec Poutine ou Orban, premier ministre de la Hongrie, on note la volonté de ces dirigeants de mettre en commun certaines traditions historiographiques, dans lesquelles la question du rapport à l’occident est centrale. Un anti-occidentalisme marqué. Derrière le « bricolage » idéologique qui permet à ces idéologies (différentes, précisons-le) de refaire une entrée remarquée dans le champ politique, il y a une vision dangereuse de la société. Car ces théories ne se résument pas à la seule vision géopolitique, au rejet de « l’atlantisme » ou à une redéfinition du centre et des périphéries, imposées par l’occident. Mais ces idéologies s’étendent à un ensemble de pratiques sociales, culturelles, politiques et religieuses, tout en redéfinissant des concepts fondamentaux : exclusion/inclusion, démocratie, hiérarchie, égalité, citoyenneté, confiance/méfiance ou bien la place de l’individu ou aussi la conscience individuelle dans la société. Avant l’arrivée de Erdogan chez son homologue Hongrois, au début novembre, deux journaux proches du gouvernement, Yeni Akit et Yeni Şafak, avaient édité deux courts articles sur le touranisme et le panturquisme.


L’idée d’une grande famille linguistique linguistico-génétique n’est pas nouvelle, elle apparait à la fin du 19e siècle, avec le linguiste Max Müller. Famille qui inclut les langues finno-ougriennes et turques.


Dès les années 1840, le touranisme connait un certain succès en Turquie avec la constitution d’une société touranienne qui se fixe comme objectif la création d’un empire touran. Mais la révolution des jeunes-turcs de 1908, qui va entraîner une radicalisation jacobine et turcique du Comité Union et Progrès (CUP), semblera mettre fin à cette « fraternité » des peuples du Touran. Il est donc étonnant de voir, depuis quelques temps, Viktor Orban et une frange de plus en plus importante du monde politique hongrois (et pas seulement, l’extrême -droite) revendiquer ou rappeler l’idéologie touranienne.

Au-delà de l’appellation discutable de langues touraniennes, c’est l’ascendance commune des peuples finno-ougriens et turcs qui est mise en exergue par les dirigeants des deux pays. Lorsque l’on prête attention aux discours des deux hommes (Erdogan et Orban) on note que c’est l’opposition avec les peuples indo-européens et sémitique qui s’avère le facteur le plus important. La désignation de peuple touranide est élargie aux Chinois, aux Coréens et aux Japonais. Malgré une théorie linguistique, aujourd’hui réfutée, Viktor Orban, lors de la visite officielle de Erdogan, en novembre 2019, tient à rappeler cette origine commune et en y mettant une certaine insistance.


La Hongrie a des griefs (historiques et encore actuels) avec l’Europe occidentale. Le mécontentement occasionné par le traité de Versailles entraine certains intellectuels et même des ministres comme Teleki (ministre des affaires étrangères) dans un mouvement de rénovation nationale. « L’alliance touranienne » affirme son lien avec l’Asie et son rejet des diktats occidentaux. Cette alliance sera particulièrement virulente contre les Juifs et les Tsiganes et se caractérisera par un nationalisme exacerbé. Il ne s’agit pas ici de retracer les idées et l’idéologie qui relient cette alliance touranienne au fascisme hongrois, dirigé par Ferenc Szalasi, et comment on les retrouve de nos jours, en partie, dans le parti d’extrême droite jobbik. Il suffit de garder en mémoire que c’est la rancœur à l’égard de l’Europe qui reste un dénominateur commun. La politique d’ouverture de la Hongrie à « l’est » est saluée par un grand nombre de politiciens du pays. Après la réhabilitation de Miklos Horthy, le dictateur de l’entre-deux- guerres, l’exploitation de la mythologie touranienne semble avoir été importante pour Orban. L’accueil triomphal réservé à Erdogan, le 7 novembre 2019, a été l’occasion de rappeler la proximité historique des deux peuples. Orban n’hésitant pas à souligner que, sans la Turquie, l’Europe serait incapable de gérer la crise migratoire. Dans un autre discours, il intègre le troisième personnage de ces « nostalgies d’empire », Vladimir Poutine (la Russie de Poutine est un exemple pour Viktor Orban). Visite officielle qui a soulevé l’indignation d’un grand nombre de Hongrois, dans le contexte de l’agression de la Turquie contre les Kurdes de Syrie.

3000 personnes défilent contre la visite de Erdogan en Hongrie. Novembre 2019

Qu’est-ce qui rapproche Erdogan, Poutine, Viktor Orban et certains autres dirigeants de l’Asie centrale ? Un héritage ethnoculturel et historique commun ? Ou bien la mise au centre de leurs actions d’un anti occidentalisme affirmé ?


En Turquie, le touranisme qui peut présenter quelques similitudes avec le panturquisme ressurgit dans les années 1990. En 1996 au retour des cendres de Enver pacha (qui organisa en 1918 une résistance musulmane contre les communistes, guidé par une vision panturquiste), des centaines de membres de l’extrême droite nationaliste scandent des slogans tels que « la Turquie deviendra le grand Touran ». Dans le même temps, le panturquisme, banni pendant près de 75 ans, refait surface et devient l’apanage d’une extrême droite nationaliste qui lui assigne le rôle d’opposition claire à toute politique occidentale. Il est à noter que le panturquisme, dans son histoire, refait surface à chaque période d’affaiblissement de la Russie, qu’elle soit tsariste ou soviétique.


Le panturquisme formulé par Enver Pacha va étrangement trouver un allié dans les Etats-Unis qui voient dans cette initiative un possible rempart contre l’islamisme et offre aussi l’avantage démographique d’unir quelques 130 millions de personnes et de contrebalancer ainsi le poids géographique et démographique de la Russie. Sans compter qu’en appuyant l’Azerbaïdjan et les Azéris, ethnie la plus importante d’Iran et qui fournissait la majorité du cadre militaire iranien, les USA pouvaient rêver à une partition de l’Iran. Inutile de préciser que cette perspective séduisante a échappé à leur contrôle. A l’indépendance des pays d’Asie centrale, l’Occident a imposé des éléments de « bonne gouvernance », une démocratisation sous surveillance et factice qui montrera vite ses limites. Les rituels occidentaux d’un libéralisme illusionniste furent, certes, respectés, mais juste un temps.


La Turquie avait une carte à jouer, elle l’a fait. La religion, même si elle pouvait apparaître trop laïque, offrait un cadre possible. La synthèse turco-islamique (Türk-Islam sentenzi) mettait en avant un nouvel élément doctrinal sur lequel on pouvait travailler. C’est d’ailleurs la Diyanet (affaires religieuses) qui sera aux avant-postes de la coopération avec les pays d’Asie centrale.


Ces pays, à la fois par crainte de phénomènes islamistes non contrôlés et par l’ancienne tradition soviétique du contrôle du religieux, ont vu dans la Diyanet, organe officiel du religieux en Turquie, un organe essentiel de la coopération, mais jusqu’à un certain point seulement.

« L’Avrasya Islam uras » conseil islamique eurasien comprend, outre la Diyanet, quinze pays du bloc de l’est : Bosnie, Kosovo, Albanie, Azerbaïdjan, Fédération de Russie et les pays d’Asie centrale, à l’exception de l’Ouzbékistan. C’était donc l’importation du modèle politico-religieux qui était à l’œuvre : restauration de mosquées, création d’universités (sur le modèle de celle de Marmara), accueil d’étudiants en Turquie, cycle de recherches (comme ceux financés par la Fondation pour la recherche sur le monde turc Türk dönyasi arastirmalari vahfi, largement soutenue par le journal nationaliste Turkye). De fait, l’Ouzbékistan, qui fait figure de leader dans la région, a toujours été le pays le plus difficile à amadouer. Si cette politique de panturquisme religieux et culturel n’y eut pas le succès espéré, ce seront les investissements économiques de la Turquie qui feront peser la balance vers une solidarité envers ce pays. Il suffit de noter comment le Turkménistan, sous influence économique turque, a accepté de persécuter les gülenistes. Il faut également préciser que les mouvements religieux turcs ne sont pas le seuls à influer sur l’Islam d’Asie centrale. Même si Ankara juge, avec un certain mépris, les mouvements issus du monde arabe, à l’exemple du hizbul Tahir (TH) ; ce mouvement islamiste politisé joue un rôle certain et il est bien implanté en Ouzbékistan et au Kirghizistan.


Il est évident que le panturquisme défendu aujourd’hui rejoint l’eurasisme de Poutine ; les deux s’apparentent au niveau des représentations, des affects ou des affiliations subjectives, pour une part bien entendu.


Mais est-ce que la Turquie a fait naître un sentiment d’appartenance majoritairement partagé ? Sa propre histoire moderne et contemporaine la dessert. Un état où la représentation parlementaire de toutes les couches de la société n’est pas acquise, un pays où l’état n’est pas une « unité du nous » (Elias) et qui reste dépendant du mythe nationaliste à un tel point, un tel état, donc, peut générer de la méfiance. Le développement d’une conscience d’un « nous » ne peut pas être l’élargissement des affects nationaux d’identification.


Mais les conditions de la scène internationale incitent les dirigeants à poursuivre leurs buts, au travers de stratégies plus subtiles. L’approche culturelle offre la possibilité d’un rapprochement sur une base d’affinités idéologiques, appelées « culturelles » pour présenter un visage plus neutre. La matrice de ces rapprochements, entre eurasisme et panturquisme notamment, est un ensemble cohérent et stratifié qui va de l’histoire à la géopolitique des civilisations, en passant par la sexualité des individus et une conception holiste, verticale et hiérarchisée du pouvoir et qui concerne aussi bien l’économie que les corps intermédiaires. On constate que pour Poutine, pour Erdogan et les autres dirigeants ayant des points de vue similaires, ces espaces sont ceux d’un déploiement universel, à base d‘orthodoxie pour l’un et de la synthèse turco-islamiste pour l’autre. Et tout ce monde se rejoint, de l’Europe orientale à la Turquie en passant par la Russie, sur un Occident à la « culture dépravée ». Quelques exemples : le spectacle « Billy Elliot » a été annulé en Hongrie en mai 2018, après des propos homophobes ; toujours en Hongrie, a été édictée une loi sur le travail qui relève de l’esclavage (mais contre laquelle on a vu une levée de boucliers sans précédent) ; une manifestation de femmes en Turquie a été sévèrement réprimée, en mars 2019.

Quant à la Russie, on est loin de la « fenêtre sur l’Europe » de Pierre-le-Grand. Tous les discours de Poutine, mais, plus encore, de certains médias, d’intellectuels et de partis nationalistes, mettent en évidence l’identité civilisationnelle qui repose sur la « préservation du génome culturel » portée, non seulement par les Russes ethniques, mais par tous les porteurs de cette identité, indépendamment de leur nationalité (Poutine, 2012). Le conservatisme russe s’adapte donc parfaitement à une Europe de l’extrême droite, ou fortement conservatrice, mais rejette fortement l’Europe de la démocratie et des droits humains, jugée laxiste et décadente.


Dans les cas russe et turc, c’est un nationalisme impérialiste qui se profile et met en avant la création et la préservation « d’identités pures ».

Si le discours post-touraniste de Viktor Orban ne réveille que de vagues échos dans la population turque, l’eurasisme, lui, rencontre un plus grand écho dans le pays, notamment dans un parti comme le vatan partisi (parti de la nation) dont le chef est Dogu Perinçek, qui se retrouve parfaitement dans le discours hostile à l’Occident des nationalistes russes.


On pourrait s’étonner d’une telle convergence de points de vue, quand on connaît l’histoire belliqueuse et conflictuelle de la Russie et de la Turquie. Et, on doit le redire, l’impérialisme de l’un n’a pu s’épanouir qu’à l’affaiblissement de l’autre.


Pourtant, rappelons-nous qu’une certaine partie de la gauche turque, dont l’éminent Attila Ilhan, rejetait l’ancrage trop à l’ouest du pays et en faisait le reproche à Ismet Ïnönü. Fait étonnant, la plupart de ces intellectuels étaient opposés au panturquisme, mais mettaient en avant les travaux de Turcs musulmans de la Russie et de l’Union soviétique qui ont travaillé sur le rapprochement du communisme et de l’Islam. L’impérialisme occidental étant l’ennemi à abattre. Dans « Hangi Edebiyat », Ilhan questionnera ce désir de devenir occidental qui entraînera un mimétisme de la vie politique et culturel, pour finir par n’être qu’un « devenir comme un occidental ». Une des figures de la littérature turque du vingtième siècle, Ahmet Hamdi Tanpinar soulignera aussi combien les changements de civilisation sont tout autant d’ordre culturels que psychologiques. « Si je pouvais oser, je dirais que, depuis le tanzimat, nous vivons avec un complexe d’Œdipe, le complexe d’avoir tué le père sans le savoir », son roman, « Saatleri Ayarlama Enstitütsü » questionne cette modernité importée.


La question que l’on peut se poser, c’est comment résister à la cristallisation dans un terme ou l’autre d’une opposition binaire : être oriental ou occidental. Comment résister à l’imposition d’un sens fixé. Je reste persuadé que la Turquie peut choisir une troisième voie, le « troisième espace » de Michel Serres, celui qui est hors des concepts figés. Ceci n’est pour l’instant pas d’actualité.


Il est amusant de noter que dans la période ou s’élabore et se discutent le panturquisme ou l’eurasisme en Russie, les intellectuels iraniens renvoient les uns et les autres dos à dos et mettent en avant un autre concept d’opposition : le tiers-monde. « L’époque où nous divisions le monde en deux blocs est bien révolue ». Ils dénonceront les complots conjugués de l’Est et de l’Ouest contre le tiers-monde. A. Shari-Ati écrira même : « dis-toi que l’est n’est qu’un loup et l’ouest un chien enragé, tous deux fous de colonialisme ».


Les discours de Erdogan, qui ont souvent fustigé le passé colonialiste de l’Europe, tiennent compte de ces arguments. La Turquie ne peut pas être considérée comme une puissance colonialiste, par un certain mode de fonctionnement de l‘administration ottomane, mais elle ne peut pas renier ses volontés impérialistes.


Erdogan est loin, aujourd’hui, du personnage réformateur et libéral des premiers temps de son arrivée au pouvoir. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les causes du changement de l’homme politique en un néo-dictateur, mais de souligner son adhésion à des courants nationalistes divers, dont certains nettement eurasistes et panturquistes. Le soutien de la Russie au moment du putsch de 2016 et les commentaires faits dans les médias russes étaient sans ambiguïté pour certains. Au nom d’une communauté d’intérêts, on devait soutenir le gouvernement de Erdogan. Mais quelle communauté d’intérêts ? L’eurasisme en faisait partie.


Dans les années 1920, l’eurasisme peut correspondre à une version de l’orientalisme occidental de la fin du dix-neuvième siècle, mais il s’en distingue par un esprit anti-occidental. On voit se dessiner une Russie plus proche de l’Asie que de l’Europe, avec une orthodoxie qui serait une religion orientale, proche du Bouddhisme, de l’Islam ou de l’Hindouisme, au travers de leurs aspects fondamentalistes et de leur mysticisme. Mais il y a là, déjà, une grande ambigüité. Car l’Islam et la turcité n’ont de sens qu’au travers de l’interaction avec les Russes.


Ce qui a changé depuis la fin des années 1990, c’est le discours de conciliation, aussi bien historique que politique, en direction des Turco-musulmans de la Fédération de Russie. Ainsi, l’Eurasie ne serait pas juste une formulation de l’empire russe, mais l’identité naturelle du monde turcique. L’ensemble des nationalistes russes n’adhèrent pas à un rapprochement avec la Turquie. Si Panarin estimait qu’il y avait deux projets eurasistes : l’un septentrional avec la Russie comme leader, et l’autre méridional avec la Turquie à sa tête, les nouveaux nationalistes russes, eux, y sont formellement opposés. Panarin défendait, d’ailleurs plus une réhabilitation de la notion d’empire, comme nouvelle forme d’état (gosudarstvennost) qu’un projet eurasiste à la Dougin. Pour les nationalistes russes, le panturquisme apparaît plus comme un danger que comme un projet à soutenir, car il signifierait une partition de l’empire.


Reste le fait religieux. Les tenants de l’eurasisme, en Turquie comme en Russie, ont conscience que l’Islam a le pouvoir civilisationnel d’unifier tout un espace autour de lui. Un eurasiste, tel que Edouard Bagramov, l’avait très bien compris lorsqu’il soulignait qu’il ne pouvait y avoir que deux religions mondiales et, par voie de conséquence, universalistes : la religion Orthodoxe russe et l’Islam. Sur ce point, Erdogan et Poutine semblent se retrouver et utilisent l’argument pour faire des émules dans leurs pays satellites.


On en arrive à une reprise du modèle « huttingtonien » d’un monde multipolaire, composé de « civilisations » qui ne se distinguent les unes des autres que par leurs traditions religieuses. Seul l’Occident – point de concorde parfait- apparaît comme sécularisé, voire a-religieux, libéral à l’excès et anti-traditionnel.


Les pays satellites sont eux-mêmes pris, voire englués, dans ce discours mettant en permanence en avant les « traditions », discours souvent lié à un nationalisme exacerbé, puisque toute action allant contre les traditions serait une action mettant en danger la patrie et démontrerait l’inféodation à l’Occident. Des mouvements pour le droit des femmes aux droits LGBT, en passant par la violence conjugale et autres remises en cause du monde social, tout est un acte « contre ». La restauration du système traditionnel est un slogan qui passe d’Ankara à Moscou, mais, pour différentes raisons, il est relayé dans l’ensemble du Caucase et de l’Asie centrale.


La religion apparaît comme le meilleur garant de stabilité sociale. Les responsables religieux des deux pays ont mis en avant la spiritualité qui rapprocherait les deux religions. On voit donc un eurasisme jouant la carte de la réhabilitation de l’Islam, tout en se méfiant du panturquisme. Cette vision a suscité de vives réactions dans les milieux nationalistes russes, Alexandre Dougin se rapprochant plus d’un messianisme russe qui privilégierait un rapprochement avec l’Iran plus qu’avec la Turquie. Mais les discours d’intégration de l’Islam rencontrent une réelle opposition dans une grande majorité des mouvements nationalistes. Il n’en reste pas moins que le gouvernement russe utilisait, depuis un certain temps, la notion de « religions traditionnelles » (Orthodoxie, Islam et Bouddhisme) relayée aussi par quelques pays satellites, soulignant ainsi, le rôle particulier dévolu aux religions. Ce discours trouve un écho dans des pays satellites qui n’appartiennent à aucune des religions citées, mais qui comprennent parfaitement l’importance du religieux dans la propagande de l’idée nationale. A un ethno-nationalisme religieux s’ajoute un ethno-nationalisme culturel qui définit l’identité en fonction de l’identité religieuse. La proximité de pensée peut surprendre entre divers pays comme la Russie, la Turquie, la Géorgie ou l’Arménie. Mais cela permet de promouvoir une approche civilisationnelle du nationalisme. Une partie de leur population se retrouvant dans la critique d’un Occident sécularisé et décadent.


Le discours de Erdogan, après l’attentat contre la mosquée de Christchurch, en Nouvelle Zélande, contenait plusieurs fois les termes de « mécréants » et ce n’est pas la première fois qu’il tente de se démarquer comme « chef » des musulmans.


Outre les différents facteurs économiques du rapprochement russo-turc (gazoduc « Blue stream », contrat de groupes turcs de construction, tourisme, commerce de « navette », etc..), les facteurs de géopolitique (conflit en Syrie et attaque contre les Kurdes, etc.), les différents points de friction et désaccords partagés avec l’union européenne, les deux dirigeants se retrouvent sur une idéologie militariste, une idéologie nationaliste et sur une vision de la société.


L’absence de réel débat national en Turquie sur la guerre contre les Kurdes, sur l’affaire chypriote ou autre, montre un consensus, orchestré ou non, surprenant. Quant à la Russie, le gouvernement ne cesse de rappeler deux axiomes essentiels du pouvoir : « la verticalité du pouvoir » et la « dictature de la loi ». Dans les deux pays, le nationalisme est inhérent à tout discours. Il entraîne un raisonnement binaire qui ne laisse place qu’à peu d’alternative, outre celle de ami/ennemi. Les niveaux de confusion entre nation et religion sont partout présents, comme, par exemple, la naturalisation du nationalisme (qui, d’ailleurs, n’est pas l’apanage des seuls partis d’extrême droite). L’extrême gauche turque n’y a pas échappé à la fin des années 1990 (cf. Aydinlik : Journal du parti des travailleurs).


L’attaque éhontée des Turcs contre les Kurdes de Syrie s’est faite avec la certitude qu’il s’agissait de « mourir pour la patrie », démontrant ainsi l’obsession de l’indivisibilité du territoire qui s’explique par l’histoire, mais aussi par un ensemble de faits sociaux qui ont fait du nationalisme le plus étroit un comportement normal du citoyen turc. Depuis l’agression des Kurdes de Syrie, ce nationalisme, qui a maintes fois permis à la Turquie de réécrire l’histoire ou de la falsifier, lui sert pour affirmer une politique transfrontalière.


« HUDUT NAMUSTUR » (la frontière, c’est l’honneur) est une inscription typique de celles que l’on rencontre sur la frontière turco-syrienne.

On est loin de la présidence de Turgut Özal (1989-1993) qui avait fourni des passeports turcs aux dirigeant Kurdes irakiens pour faciliter leurs déplacements. La ligne intégrationniste a fait long feu. En 2011, Erdogan soulignait la victoire de l’AKP comme de celles de Sarajevo, Damas ou Gaza. Ces noms de ville étaient en fait les frontières de l’empire ottoman, qu’ils nommaient les frontières « du cœur » (gönül sirinimiz). Aujourd’hui le discours est différent, la sphère d’influence se veut plus restreinte, mais le discours militaro-nationaliste est plus insistant.


On demande souvent à l’Europe d’affronter son eurocentrisme, son passé (et cela, à juste titre), tout comme sa volonté universaliste (bien mal en point) ; mais, alors, tenons le même discours face aux pays qui bafouent tous les jours les plus simples des droits humains. Les propos tenus depuis quelques temps par différents dirigeants d’Europe orientale, de Turquie, de Russie ou d’ailleurs et qui font appel au touranisme, panturquisme ou eurasisme et placent au cœur de leur exposé la fausse alternative entre un universalisme à l’occidentale et l’appartenance ethnique, communautaire ou religieuse, sont dangereux.


L’humain ne renvoie pas à une désignation générique quelconque. Il exprime avant tout une dignité. Le sens et le respect de l’être humain est, en tant que tel, une longue conquête, toujours menacée. « Les nostalgies d’empire » se font les porte-parole d’un traditionalisme farouche qui mettent en avant l’absolutisation de particularités, comme celle de la religion et qui en font une tyrannie religieuse plus qu’une adhésion voulue et choisie. Ce qui est d’autant plus navrant, notamment pour la Turquie, car elle a dans son histoire, culturelle, religieuse ou sociale, les outils pour s’exposer au débat.


Les droits humains ne sont pas l’expression d’une culture occidentale dévalorisée ou relativisée. Penser à ces valeurs sur le mode d’un arbitraire culturel ou d’une confrontation d’opinions semble fallacieux. On ne cessera, ici, de le répéter. Les droits humains sont, avant tout, ceux des droits de la dignité humaine.


IL NEIGE DANS LA NUIT…Extrait. Nazim Hikmet.


Les chants des hommes

Sont plus beaux qu’eux-mêmes

Plus lourds d’espoir

Plus tristes

Plus durables…

J’ai toujours compris tous les chants

Rien en ce monde

De tout ce que j’ai pu boire et manger

De tous les pays où j’ai voyagé

De tout ce que j’ai pu voir et entendre

De tout ce que j’ai pu toucher et comprendre

Rien, rien

Ne m’a rendu aussi heureux

Que les chants

Les chants des hommes.

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